A vous, nos chers disparus, je n’ai pas croisé vos regards, mais mon cœur est abattu. Je vous écris cette lettre pour que vos destins brisés ne soient pas aussi vite oubliés.
Je vous écris cette lettre pour vous dire que nous devons nous engager envers vous. Pour que de cette horreur, naissent les conditions d’un changement. Du plus jamais ça. Pour que face à l’inacceptable, nous ayons la force de construire un barrage contre la haine. Qu’elle ne s’infuse pas plus profondément dans le coeur de notre jeunesse.
Je vous écrit cette lettre comme un cri du coeur pour vous dire que non, nous ne pouvons pas accepter que vous soyez partis pour rien. Il en est de notre responsabilité, à tous. Comprendre non pas pour accepter mais pour avancer. Regarder en face ce qui nous a conduit à ça, pour panser cette fracture qui a grandi chaque jour, à tel point, d’en faire de vous les victimes innocentes.
Je vous écris cette lettre non pas pour en faire une fenêtre de récupération politique. Je n’ai pas d’étiquette. Mais pour regarder en face cette fracture. L’impossible intégration, la désillusion, la démission d’une partie de l’éducation, que soit celle des parents ou de l’école au profit de la télévision, d’internet à qui on a inconsciemment confié une partie de l’esprit de notre jeunesse.
La disparition du sens de nos valeurs : la liberté, l’égalité, la fraternité. La liberté est devenue celle de tout accepter. L’égalité celle d’aspirer à la richesse et à la célébrité, celle qu’on nous balance à longueur de journée, comme la seule aspiration d’une vie, le seul but à atteindre mais dont une infime partie de la population s’en réserve l’accès. La fraternité, quant à elle, s’incarne aujourd’hui dans le nombre d’amis sur Facebook.
Face à la dissolution de ces valeurs dont on se gargarise sans s’en rendre compte, on laisse de côté une partie de notre jeunesse. La réussite sociale n’est que le luxe d’une minorité lorsque la majorité regarde de l’autre côté du mur tout ce à quoi elle n’aura jamais accès.
De cette vie rêvée, fantasmée, où règne la fête, le sexe, l’argent, émerge une puissante frustration, terreau fertile de la haine. La haine facilite l’acceptation de sa situation en trouvant des coupables. La haine permet la victimisation et donc la non remise en question. La haine offre un écho au fanatisme. La haine est le carburant du terrorisme. La haine s’est insérée, à prospérer plus gangrener des couches de la population où des âmes fragiles, errent, en marge de ce monde qui ne veut pas d’eux.
Je ne cherche pas à excuser mais je me sens responsable de cette jeunesse perdue, celle qui est tombée sous les balles et celles qui a donné son âme au désespoir, à l’absurdité, à la violence.
Je vous écris cette lettre parce que vos vies ainsi arrachées ont créé un séisme, tant dans notre société, que dans nos esprits. Un bouleversement si puissant que je ne peux aujourd’hui me résoudre au silence.
Ce ne sont, de toute évidence, pas les seules raisons de ce qui est advenu, la complexité de ce monde m’échappe. Les enjeux économiques et politiques ne sont pas tous à ma portée.
Cette lettre n’a aucune prétention. Elle permet juste d’exprimer qu’on ne pourra jamais oublier.
A nos chers disparus, à leurs proches, à la jeunesse perdue.